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RAMÓN TEBAR'S MUSICAL APPROACH

musical director of "Les Capulet les Montaigu"

Découvrez le point de vue de Ramón Tebar à propos du dernier opéra de la saison, Les Capulet les Montaigu, pour en savoir davantage sur la musicalité de cette production, à découvrir du 23 au 29 juin à l'Opéra !

Bellini est mort en 1834 à l'âge de 33 ans seulement, après avoir composé dix opéras en dix ans de carrière musicale. Le premier était Bianca et Fernando en 1824 et Les Capulet et les Montaigu est le sixième, écrit en 1830, cinq ans après, alors qu’il était encore étudiant au Conservatoire de Naples. Lorsqu’on parle de compositeur mort jeune, la première comparaison qui vient à l'esprit est Mozart. Mais, à l'âge de la mort de Bellini, Mozart composait depuis près de trente ans. On ne peut pas vraiment parler d'une période de maturité chez Bellini car, à mon avis, ces dix ans ont été ceux du développement de son langage. Nous ne pourrons jamais deviner comment il aurait évolué s'il avait vécu jusqu'à l'âge de Beethoven, Haydn ou Rossini. Les Capulet et les Montaigu témoigne de quelques-uns des traits qui contribueront à distinguer son langage de celui de ses contemporains : contemporains qui, après Rossini, avaient pour la plupart pris le parti d’imiter le style du génial maestro de Pesaro. Donizetti est probablement l'autre compositeur de même stature que Bellini, mais avec un style différent. Le livret de Felice Romani est un texte utilisé et modifié par lui-même quelques années plus tôt pour l'opéra Juliette et Roméo de Vaccaj en 1825, qui était lui-même une variante de celui utilisé par Foppa pour Zingarelli - le professeur de composition de Bellini à Naples - avec sa Juliette et Roméo de 1796. Nous savons que Foppa a utilisé différentes sources, et il s’est moins inspiré de Shakespeare que d’Histoires de Vérone de Della Corte.

La question de savoir ce qui était le plus important entre le mot ou la musique dans les pièces écrites pour les chanteurs est ancienne, et difficile à trancher, même dans le cadre de la production d'un compositeur donné. Dans le cas de l'opéra, le texte inspire directement la musique sans que l’on puisse pour autant en faire une loi générale. Les exemples sont nombreux et, parmi eux, Bellini lui-même écrivait parfois la musique avant même d'avoir les couplets. Bien sûr, il avait déjà l'idée de l'ambiance, de l'atmosphère de la scène... Parfois Bellini, comme beaucoup d'autres compositeurs, réutilisait des pages d’une partition écrite précédemment en adaptant des mots nouveaux à une musique existante. Bien que ce ne soit pas le procédé prédominant pour écrire des opéras entiers, il est difficile d’affirmer que les mots prévalent sur la musique. Ceci dit, Bellini est l'un des compositeurs du début du XIXe siècle chez lesquels le lien entre la parole et la musique est le plus étroit. Contrairement à ses contemporains, il préfère travailler de manière intensive sur ses opéras, se limitant à un seul par an. Il prend plus de temps pour travailler le texte, l’expression, l'étude des personnages, le rythme, la couleur des mots etc. On croit souvent à tort qu’en raison de la simplicité de son orchestration ou de l'accompagnement des voix, il n'a pas prêté autant d'attention à la musique qu'aux paroles. Je ne souscris pas à cette idée car, à mon avis, le langage de Bellini visait à dépouiller la musique des effets inutiles ou redondants qui pourraient obscurcir le sens du texte. Je crois que c'est l'un des aspects importants de son œuvre qui la rend si unique. Alors que Rossini inondait le monde de sa musique brillante et virtuose pleine de feux d'artifice et de rythmes entraînants, Bellini a pris une direction différente, et cette apparente simplicité incomprise a diminué, aux yeux du public, ses nombreuses vertus. Il y a dans cette simplicité une certaine idée du génie de Bellini. Parmi les traits stylistiques belliniens importants, il y a le soin avec lequel il traite les récitatifs, où il exploite au maximum l'expression de la voix, sa manière d’utiliser les silences, laissant souvent la voix seule, sans l'intervention de l'orchestre, pendant plusieurs longues séquences : c'est ici que le chanteur se rapproche le plus du théâtre parlé et, bien que nous admirions tous le Bellini pour son art consommé de la mélodie qui fait de lui le Schubert italien, la place qu'il accorde aux récitatifs le rend unique en son temps.

Lors des répétitions musicales puis des représentations, j'essaie de souligner l'importance du texte de Bellini. J'analyse et j'essaie de donner un sens à son écriture, à l'utilisation des pauses, au silence, à la façon dont cela affecte l'expression et la couleur du chant, même lorsqu'il se brise ou s'interrompt au sein de la même phrase. C’est quelque chose qui, je pense, a tendance à être négligé chez Bellini : souvent les interprètes se concentrent davantage sur les sections mélodiques et malheureusement, les récitatifs sont travaillés avec moins de soin ou d'attention. Le bel canto, comme nous le savons tous, est un style qui met l'accent sur la beauté du chant. Mais je crois qu’on se méprend parfois à propos de ce qu’est ce beau chant : il s’agirait d’une belle ligne continue, un phrasé sans fin dans de longues respirations (lungo fiato) conservant toujours une mélodie encore plus belle. À mon avis, même si le belcanto doit inclure certaines de ces caractéristiques, il ne faut pas oublier que les phrases haletantes, les mots brisés, le maintien de la tension d'une phrase indépendamment de son interruption - qui sont nombreuses chez Bellini dans son écriture ! - l'émission de couleurs terrifiantes et dramatiques, font assurément partie de ce beau chant.

Pour chanter Bellini, il faut avoir des voix suffisamment souples pour faire ressortir toutes les passions, le drame et le théâtre convoqués par le compositeur. Je pense que le spectre des couleurs que Bellini nous donne est si large que plus la palette de nuances que les chanteurs peuvent créer avec leur instrument est grande, plus nous pouvons nous rapprocher de ses intentions. Pour cette production, nous disposons d'un merveilleux casting de chanteurs qui sont non seulement dotés de grandes voix capables techniquement de produire tous les effets nécessaires, mais aussi de la volonté d'aborder cette musique avec une grande ouverture d’esprit. Bellini a toujours exigé de ses chanteurs une grande expressivité - le drame et la passion - et cela se voit dans de nombreuses annotations de ses partitions. J'aime me souvenir d'une de ses notes dans La Sonnambula, lorsqu'il demande aux chanteurs de produire un son con tutta la forza della passione (avec toute la force de la passion). S’il avait seulement écrit « avec passion » (con passione), on comprend que l'expression devrait déjà être très forte. S'il avait écrit « avec toute la passion » (con tutta la passione), cela voudrait dire encore plus. Mais il va plus loin, avec le mot « TOUTE la force de la passion ». C’est le maximum que l’on puisse demander. Bien que cela puisse paraître excessif, voire exagéré, il exige tout ce qui est possible en termes d'expression. C'est pour moi Bellini !

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